Corpus poésie : réécriture des topoï
Textes en lecture analytique (LA) et cursive (LC) BALLADE DES DAMES DU TEMPS JADIS LC
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| Dites-moi où, n'en quel pays Est Flora la belle Romaine, Archipïades ne Thaïs Qui fut sa cousine germaine; Écho, parlant quand bruit on mène Dessus rivière ou sur étang, Qui beauté ot trop plus qu'humaine
Mais où sont les neiges d'antan? Où est la très sage Héloïs, Pour qui fut châtré et puis moine Pierre Esbaillart à Saint-Denis? Pour son amour ot cette essoine. Semblablement, où est la roine Qui commanda que Buridan Fût jeté en un sac en Seine? Mais où sont les neiges d'antan? La roine blanche comme lis Qui chantait à voix de seraine, Berthe au plat pied, Bietrix, Aliz, Haramburgis qui tint le Maine, Et Jeanne, la bonne Lorraine Qu'Anglois brûlèrent à Rouen, Où sont-ils, où, Vierge souveraine? Mais où sont les neiges d'antan?
Prince, n'enquerrez de semaine Où elles sont, ne de cet an, Qu'à ce refrain ne vous remaine : Mais où sont les neiges d'antan ?
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François Villon, Testament, 1489,
édition de Jean Dufournet (Flammarion) Mignonne, allons voir si la rose… LA
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| Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil. Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir. Donc, si vous me croyez, mignonne
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté
| Ronsard Odes, I, 17, 1550
* Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle LC Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle. Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle. Je seray sous la terre et fantaume sans os :
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'huy les roses de la vie. (orthographe du moyen français restituée) Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578
Stances à Marquise LC
Marquise est le pseudonyme de Thérèse Gorla), épouse du comédien Du Parc et comédienne reconnue, courtisée par nombre d'artistes La Fontaine, Corneille, Molière, Racine. On dit qu'elle est morte empoisonnée le 13 décembre 1668 dans des circonstances mystérieuses.
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| Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux. Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront :
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front. Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis. Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps. Vous en avez qu'on adore.
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés. Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qui me plaira de vous. Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit. Pensez-y, belle marquise ;
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi. Pierre Corneille, 1658
| Réponse prêtée à Marquise par Georges Brassens, après Tristan Bernard Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant,
J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t’emmerde, en attendant,
J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t’emmerde, en attendant, « Le Lac », version intégrale, LA v. 36
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| Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! Je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence.
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots : « Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! « Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux. « Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ;
Et l'aurore va dissiper la nuit. « Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons ! ;
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! » (fin de la LA) Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.
Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !
| Alphonse de Lamartine (1790-1869), Méditations poétiques (1820) Le Pont Mirabeau LA
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| Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure
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Guillaume Apollinaire (1880 - 1918), Alcools 1913 Objet d’étude : la poésie Dit de la force de l’amour 1947 Paul Éluard LA C'est en 1929 qu'Eluard rencontre Nush, de son vrai nom Maria Benz), celle qui sera, jusqu'à sa mort* subite, sa compagne et sa muse.
*(mort brutale, d'une hémorragie cérébrale qui l'emporte le 28 novembre 1946 en quelques heures sans qu'elle ait repris connaissance ; elle était restée à Paris pendant qu'Eluard était parti se reposer dans le Valais...

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| Entre tous mes tourments entre la mort et moi
Entre mon désespoir et la raison de vivre
Il y a l'injustice et ce malheur des hommes
Que je ne peux admettre il y a ma colère Il y a les maquis couleur de sang d'Espagne
Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce
Le pain le sang le ciel et le droit à l'espoir
Pour tous les innocents qui haïssent le mal La lumière toujours est tout près de s'éteindre
La vie toujours s'apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini
Un bourgeon sort du noir et la chaleur s’installe Et la chaleur aura raison des égoïstes
Leurs sens atrophiés n'y résisteront pas
J'entends le feu parler en riant de tiédeur
J'entends un homme dire qu'il n'a pas souffert Toi qui fus de ma chair la conscience sensible
Toi que j’aime à jamais toi qui m’as inventé
Tu ne supportais pas l'oppression ni l'injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre Tu rêvais d'être libre et je te continue.
13 avril 1947.
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Si tu t'imagines
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| Si tu t'imagines
si tu t'imagines
fillette fillette
si tu t'imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
et ton pied léger
si tu crois petite
xa va xa va xa
va durer toujours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
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| les beaux jours s'en vont
les beaux jours de fête
soleils et planètes
tournent tous en rond
mais toi ma petite
tu marches tout droit
vers sque tu vois pas
très sournois s'approchent
la ride véloce
la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures
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Raymond QUENEAU, L'instant fatal, Gallimard, 1948, réed. coll. Poésies – NRF |