Les deux jeunes filles lettréES





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palais du Khi-lîn, pavillon du phénix, parvis du dragon, se p.068 rapportent à la magnificence du palais impérial. Votre seigneurie a seule le droit d’en sortir et d’y entrer à toute heure, dirige le service et ne s’écarte pas un instant de Sa Majesté. C’est pourquoi il est dit dans la seconde phrase : Je sers l’empereur et reçois ses bienfaits. Depuis l’antiquité, les empereurs sages et éclairés ne laissaient pas voir aux autres hommes un seul froncement de leurs sourcils ou un seul sourire de leur bouche. Notre empereur saint et éclairé est leur vivante image. Seulement, comme votre seigneurie ne s’écarte point de Sa Majesté, si un rayon de joie brille sur sa face céleste, les hommes du dehors n’en savent rien ; votre seigneurie seule l’aperçoit aussitôt. Ainsi donc le but général de ces vers est de louer votre seigneurie de ce qu’elle a des rapports intimes avec notre auguste empereur.

Après avoir entendu cette explication, Lieou battit des mains en signe de joie.

— Excellence, dit-il en riant, comment a-t-elle pu exprimer des idées si admirables ? Seulement je n’ose accepter de tels éloges. C’est vraiment une fille de talent ; il ne faut plus s’étonner que l’empereur lui ait témoigné une si haute estime. Mille remercîments. Si, une autre fois, elle a quelque occasion d’entrer dans le palais, moi et mes collègues nous nous emploierons de tout cœur pour la servir.

— Un simple éventail, dit Chân-hiên-jîn, ne peut pas compter pour une marque de respect. Plus tard, je veux vous offrir des présents pour vous témoigner ma reconnaissance.

— Cette pièce de vers me suffit bien, repartit Lieou ; p.069 je vous ai déjà dit que je ne voulais pas de présents, et quand même vous m’en enverriez, je les refuserais nettement.

Il se leva à ces mots ; mais Chân-hiên-jîn voulut le retenir pour lui offrir une collation.

— Le soleil est près de se coucher, dit Lieou en refusant, il faut que j’aille rendre compte de ma commission à Sa Majesté et aux deux impératrices.

Il lui offrit alors ses remercîments et s’éloigna.

Les plantes odorantes naissent en même temps que les fleurs,

Mais ont-elles jamais senti les charmes du printemps ?

A l’exception de notre ami intime,

On ne voit que des hommes qui courent après la renommée.

Lieou-kong partit. Enchanté de posséder un éventail orné de vers, il alla de tous côtés l’étaler avec orgueil. Mais laissons l’eunuque et revenons à Chân-hiên-jîn. Après s’être retiré dans la salle de derrière, il se mit à ranger, avec Lo, sa noble femme, et avec sa fille, les présents de l’empereur, et discourant à ce sujet :

— De l’or, de l’argent, des étoffes de soie, dit-il, ce sont des présents ordinaires ; mais les quatre caractères écrits par l’empereur Hong-wén-thsaï-niu (fille de talent, éminente en littérature), le pied de jade et le jou-i (sorte de sceptre) d’or, ces trois objets précieux ont été donnés par faveur spéciale : où les placerons-nous ?

— Puisqu’ils ont été donnés à notre fille, répondit madame Lo, nous les lui remettrons pour qu’elle les serre dans sa chambre à coucher.

p.070 Des objets donnés par l’empereur, dit Chân-hiên-jîn, peuvent-ils être serrés dans une chambre à coucher ? Ne serait-ce pas une indigne profanation ? Si, un de ces jours, notre auguste souverain venait à l’apprendre, cela ne tournerait pas à bien.

— Puisque tel est votre avis, reprit madame Lo, je ne vois nul endroit où nous puissions les placer.

— Je veux, dit Chân-hiên-jîn, faire démolir quelques petites maisons qui touchent à la partie orientale du grand salon, et construire un pavillon dont l’étage supérieur me servira à suspendre ces trois objets précieux. Je l’appellerai Yu-tchi-léou (le pavillon du pied de jade). De cette manière nous ferons éclater notre reconnaissance pour les bienfaits de l’empereur. Notre fille pourra s’y retirer pour lire ou composer du wén-tchang (prose élégante). Dites moi, madame, que vous en semble ?

— Votre Excellence a une idée admirable, répondit madame Lo.

Cette résolution, étant arrêtée, le lendemain Chân-hiên-jîn ordonna à l’intendant de sa maison de prendre des ouvriers et de les mettre à l’œuvre. On peut dire que les ministres d’État exécutent leurs projets avec une facilité prodigieuse. En moins d’un mois, le pavillon se trouva complètement achevé. Chân-hiên-jîn fit incruster dans une tablette les quatre grands caractères tracés par l’empereur, et la suspendit au fronton du bâtiment ; ensuite, il écrivit lui-même les mots Yu-tchi-léou (pavillon du pied de jade) sur une autre tablette, et la fixa au haut d’une colonne de la façade. Il fit construire un piédestal peint en rouge et orné de dragons, et plaça p.071 dessus le pied de jade et le jou-i d’or (sorte de sceptre) Tout autour, on voyait des casiers remplis de livres et des tablettes chargées de volumes. Aux quatre parois des murs étaient suspendus des rouleaux de soie fermés par des fiches d’ivoire, qui offraient des peintures ou des autographes d’hommes célèbres de l’antiquité. Chaque jour, après avoir fait sa toilette et avoir rendu visite à ses parents, Chân-taï allait s’asseoir au haut du pavillon et se délectait à l’aide du pinceau et de l’encre. A cette époque, la renommée littéraire de Chân-taï remplissait la ville de Tchang-’ân. Parmi les membres éminents du conseil privé, les princes, les comtes, les parents de l’empereur et les hommes riches et nobles ou amis des choses extraordinaires, il n’y en avait pas un seul qui ne vint avec de magnifiques présents pour lui demander des vers ou quelques lignes de son écriture. Chân-hiên-jîn, considérant que sa fille, qui n’avait encore que dix ans, se trouvait à l’abri de tout soupçon, et que d’ailleurs l’empereur lui avait conféré un titre honorable, ne redoutait nullement les propos du public. C’est pourquoi tous ceux qui venaient la solliciter n’éprouvaient jamais le moindre refus. A cette époque, l’empire jouissait d’une paix profonde, et les ministres d’État n’étaient point surchargés d’affaires administratives. Les personnes qui se présentaient à la porte de l’hôtel pour demander des vers ou de la prose élégante se succédaient sans interruption.

Un jour, arriva un jeune noble, fils d’un ancien ministre, originaire de la province de Kiang-si, dont le nom de famille était Yên et le nom d’enfance Wén-ou. Comme il devait obtenir une charge par faveur spéciale, en p.072 considération des services de son père, il était venu à la capitale pour subir son examen. Ayant obtenu, à la suite des épreuves prescrites, la charge de tchi-fou (préfet), il attendait qu’on lui notifiât le lieu de sa destination. Dès qu’il eut appris que Chân-taï avait reçu de l’empereur le titre de thsaï-niu (fille de talent), il en fut charmé et se sentit pénétré d’estime pour elle. Il prépara alors de riches présents, acheta une pièce de satin et un éventail doré, et montant à cheval, il vint présenter sa demande lui-même.

Or, toutes les fois qu’on venait prier mademoiselle Chân d’écrire des vers sur des éventails, c’était un vieux serviteur nominé Youân-lao-kouân (c’est-à-dire le vénérable employé Youân) qui les recevait et en prenait soin. Ce jour-là, le vieux serviteur, ayant reçu de la main de Yên-wén-ou les cadeaux, ainsi que la pièce de satin et l’éventail, les inscrivit sur un registre et les serra après lui avoir demandé son nom de famille et son nom d’enfance. Puis il lui fixa le jour où il pourrait venir chercher, avec les autres solliciteurs, les vers qu’il désirait.

Dès que Yên-wén-ou fut parti, le vieux domestique porta les cadeaux dans le pavillon du pied de jade. Il n’avait pu prévoir que mademoiselle Chân, sachant sa mère indisposée, était entrée dans l’intérieur et ne se trouvait pas alors dans son cabinet d’étude. Le vieux domestique prit alors les cadeaux, la pièce de satin et l’éventail, et les remit aux servantes en les chargeant d’en informer mademoiselle. Mais, à son insu, celles-ci les déposèrent dans une armoire, et quand leur maîtresse fut revenue, elles se trouvèrent tellement p.073 préoccupées d’autre chose qu’elles oublièrent de l’en instruire.

Au jour fixé, chaque personne vint chercher les vers ou la prose élégante qu’elle avait demandés. Tout le monde eut son lot, à l’exception du noble Yên-wén-ou, dont la pièce de satin et l’éventail manquèrent à l’appel. Il s’emporta alors vivement.

— Pourquoi, dit-il, suis-je le seul qu’on ait oublié ?

Le vieux serviteur fut tout troublé de cette circonstance. Il se vit obligé de monter de nouveau au pavillon du pied de jade pour faire des recherches et prendre des informations, mais, dans le premier moment, ce fut peine inutile. Il vint une seconde fois rendre réponse à Yên-wén-ou.

— Seigneur, dit-il, comme on était fort pressé le jour où vous êtes venu, j’ignore en quel endroit on aura posé votre pièce de satin et votre éventail. Dans le premier moment, mes recherches sont restées sans effet. En attendant, veuillez vous retirer. Si demain on parvient à les découvrir, vous pourrez les remporter.

A ces mots, le noble Yên entra dans une violente colère.

— N’allez pas vous moquer de moi, dit-il, parce que vous êtes fort de l’appui d’un ministre d’État ; il y a eu aussi un ministre dans ma famille. Comment se fait-il que tous les autres aient obtenu leurs objets et que les miens seuls soient introuvables ? Allez dire ceci à votre maîtresse : si elle daigne écrire, qu’elle écrive de suite ; si elle ne daigne pas écrire, qu’elle me rende les objets que j’ai apportés.

Le vieux domestique, voyant l’irritation du noble Yên, craignit que Son Excellence (Chân-hiên-jîn) ne vint à apprendre cet accident et ne le grondât.

— Seigneur, dit-il à p.074 Yên, il est inutile que vous vous fâchiez ; attendez que j’aille faire de nouvelles recherches.

A peine le vieux serviteur était-il parti, que le noble Yên le suivit et pénétra dans l’intérieur. Quand il fut arrivé sur ses pas, au bas du pavillon du pied de jade, il vit affichée, à côté de la porte d’entrée, une ordonnance ainsi conçue : « Au haut de ce pavillon, sont suspendus des caractères écrits de la main de l’empereur ; c’est le cabinet d’étude de la fille de talent. Les gens oisifs ne doivent pas jeter ici des regards indiscrets. Si quelqu’un viole cette défense, il en sera fait un rapport à l’empereur, qui le châtiera sévèrement. »

Lorsque le noble Yên fut entré à la suite du vieux serviteur, il songeait encore à proférer quelques paroles violentes ; mais dès qu’il eut vu l’ordonnance, il éprouva un vif battement de cœur et n’osa souffler un mot ; il se dressa tout doucement sur la pointe du pied, et prêtant l’oreille, il entendit le vieux domestique interroger ainsi les servantes qui étaient au haut du pavillon :

— La pièce de satin et l’éventail du seigneur Yên, de la province du Kiang-si, les avez-vous retrouvés ?

Sur leur réponse affirmative, le vieux domestique ajoutait :

— Puisque vous les avez retrouvés, priez Mademoiselle d’y écrire tout de suite quelque chose. Le seigneur Yên attend en personne au bas du pavillon.

Longtemps après, il entendit ces mots qu’on adressait au vieux domestique du haut du pavillon :

— Priez le seigneur Yên d’attendre encore un peu ; Mademoiselle va écrire à l’instant.

Le noble Yên, ayant entendu ces paroles de ses propres oreilles, fut ravi de joie et n’osa proférer un seul p.075 mot. Il resta donc au bas de l’escalier, en face du pavillon, et attendit en allant et venant.

Mais revenons à mademoiselle Chân. Ayant trouvé au haut du pavillon, à force de recherches, la pièce de satin et l’éventail, elle lut sur l’enveloppe l’inscription suivante : « Le fils aîné du ko-lao (ministre) Yên, de la province du Kiang-si, Yên-yao-ming 83, surnommé Wén-ou 84, nouvellement élevé, par suite des examens, à la dignité de préfet, célèbre dans le monde par ses talents administratifs et son mérite littéraire, vous prie d’employer votre habile pinceau à célébrer ses louanges. »

A peine Chân-taï eut-elle fini de lire, qu’elle se dit en souriant : « Quel est cet individu qui vante lui-même ses talents administratifs et son mérite littéraire ? » Ayant entendu dire qu’il attendait au bas du pavillon, elle se glissa tout doucement près du bord de la fenêtre, et laissa tomber un regard furtif. Elle vit que cet homme portait un bonnet carré et un large vêtement, et qu’il allait et venait au bas du pavillon en lançant des coups d’œil obliques. L’ayant observé une seconde fois avec attention, elle remarqua qu’il était borgne et boiteux d’un pied. « Il sied bien à un pareil homme, dit-elle en riant sous cape, de faire l’arrogant ! » Alors, revenant dans le pavillon, elle prit la pièce de satin et l’éventail doré, et y écrivit des vers ; puis elle chargea les servantes de remettre ces objets au vieux domestique pour qu’il les rendit au noble Yên. Celui-ci les déploya et y jeta les yeux. Quoiqu’il ne pût deviner le sens des vers, les p.076 formes légères et gracieuses des caractères lui causaient une joie indicible. Il se retira après avoir remercié à plusieurs reprises.

Depuis l’antiquité, la poésie a [souvent] enfanté la haine ;

Mais la colère et les injures ne sont rien auprès des railleries personnelles.

C’est pourquoi Teng-tou 85, malgré le grand nombre de défauts physiques [reprochés à sa femme],

Est resté insensible aux critiques malignes de Song-iu.

Dès que le noble Yên fut en possession de la pièce de soie et de l’éventail ornés de vers, il retourna tout joyeux à son hôtellerie, les déploya et les examina avec la plus grande attention. Mais comme les vers étaient écrits en caractères thsao (cursifs), il n’en pouvait deviner le sens. Il songea avec bonheur que deux des hôtes savaient lire l’écriture thsao. Ceux-ci lui ayant lu, mot à mot, chaque caractère, il vit alors que l’éventail portait les vers suivants :

Quand les trois Thaï 86 sont montés au haut du ciel, le disque du soleil brille tout seul 87.

Lorsqu’on possède cinq chevaux à son char 88, à quoi bon s’affliger de l’inégalité de la route 89 ? p.077

Ne soyez pas si fier de la ceinture qui vous a été nouvellement donnée dans la salle jaune 90.

L’homme du pavillon de l’est 91, de la province du Kiang-si, fait parler de lui depuis bien longtemps.

Sur la pièce de soie, on lisait les deux lignes suivantes en caractères grands comme une tasse.

[Niu-wa] brisa ‘Ao 92 pour asseoir les extrémités [du monde], et le ciel et la terre se trouvèrent dans un parfait équilibre 93.

Ayant dissipé les nuages, elle laissa voir le ciel, et donna l’ouïe et la vue aux sourds et aux aveugles de tous les siècles 94.

Yên, ayant fini d’entendre cette lecture, se sentit transporté de joie. « Les mots Sân-thaï (les trois étoiles Thaï de la Grande Ourse) et Tong-ko (salle de l’est) qui sont écrits sur l’éventail, s’écria-t-il, renferment un éloge pour moi, qui suis issu d’un ministre d’État. Les mots Ou-ma (cinq chevaux) et Hoang-t’ang (salle jaune) indiquent d’une manière flatteuse que je viens d’être élevé, après les épreuves prescrites, au rang de préfet ; les mots p.078 Touân ‘Ao (couper les pieds de la tortue ‘Ao) et Po-yun (dissiper les nuages), etc., que je vois sur la pièce de satin, ont pour but d’exalter ma rare capacité et l’éclat de mon mérite. Elle a mis en lumière tous les titres dont je me glorifie au fond du cœur. En vérité, c’est une fille de talent. » Les hôtes, en voyant éclater la joie de Yên, se mirent à le louer et
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