Les deux jeunes filles lettréES





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les hirondelles blanches n’aient été célébrées en vers sous les dynasties des Hân et des Thang. Mais la tradition ne nous a conservé aucune de ces pièces qui ait un mérite réel ; c’est pourquoi nous n’en connaissons pas. Au commencement de ce règne, Chi-ta-pên a écrit sur ce sujet une pièce en vers de sept syllabes ; elle est tournée avec art et a été louée avec chaleur par tous ses contemporains, qui l’ont mise au rang des plus célèbres compositions. Un autre poète, nommé Youên-kaï, fut charmé de cette pièce ; seulement, il lui reprochait d’offrir des allusions trop transparentes. Il composa aussi, sur les mêmes rimes, une pièce en vers de sept syllabes, mais son génie trop subtil n’a fait qu’esquisser l’idée vague du sujet. Cependant il a obtenu également les éloges de ses contemporains, et sa pièce de vers est regardée comme bien supérieure à celle de Chi-ta-pên. Quoique le goût du public juge différemment ces deux morceaux, cependant ils peuvent aller de pair. Ces compositions sur les hirondelles blanches ont atteint le sublime du genre ; c’est pourquoi, jusqu’à ce jour, on n’a pas entendu parler de poète qui ait osé traiter de nouveau le même sujet.

— Votre Excellence se les rappelle-t-elle, demanda le fils du ciel ?

— Je me les rappelle parfaitement, répondit Sié-kiên. p.020

— Puisque Votre Excellence se les rappelle, je vous prie de les transcrire et de me les faire voir.

A ces mots, il ordonna aux officiers qui étaient à ses côtés, de lui donner un pinceau et du papier.

Sié-kiên obéit, et, étant retourné à sa place, il écrivit avec soin les deux pièces de vers et les apporta à l’empereur.

Un officier, qui était près de lui, les reçut et les déposa sur la table du dragon. Le fils du ciel déploya la feuille, et y ayant jeté les yeux, il lut la pièce suivante de Chi-ta-pên.

PIÈCE DE CHI-TA-PÊN

Chaque année, au printemps, elles reviennent couvertes de neige 45.

Dans la cour de la. salle où fleurit le poirier du Japon, elles rivalisent d’éclat avec la lune.

Douze jalousies ornées de perles les enveloppent dans leurs plis.

Des paires de ciseaux de jade s’élèvent et s’abaissent en volant.

Les princes et les comtes de l’empire vantent la gorge brune 46. p.021

Dans le royaume, tous les hommes estiment les vêtements noirs 47.

Sur les fleuves et les lacs, combien de cormorans et de mouettes doivent faire serment de pêcher ensemble au milieu des brisants.

PIÈCE DE YOUÈN-KAÏ

Les évènements des anciens royaumes ont disparu comme les nuages qu’emporte le vent.

Il y a bien peu d’hommes qui connaissent Wang et Sié 48, dont la fortune a brillé dans les siècles passés.

Lorsque la lune s’élève, son disque brillant ne paraît pas d’abord à la surface de la rivière Hân.

La neige remplit les jardins des Liang 49 et elles ne reviennent pas encore ;

L’odeur des fleurs de saules qui bordent les lacs et les étangs, me suit jusque dans mes songes ; p.022

Dans la cour de la salle où fleurit le poirier, le froid pénètre mes vêtements.

Dans la maison de Tchao 50, combien de sœurs sont animées d’une vive jalousie 51.

Ne l’envoyez pas voler dans le palais de Tchao-yang.

Le fils du ciel examina avec un vif plaisir les deux pièces de vers, et ne put s’empêcher d’en faire un éloge pompeux.

— Certes, s’écria-t-il, leur réputation n’est point usurpée. Dans la composition de Chi-ta-pên, la vérité du style cache des idées gracieuses. Dans celle de Youên-kaï, le vague des expressions vous communique un charme divin. J’avoue que ces deux pièces peuvent aller de pair. Elles nous montrent combien les sujets lettrés du règne précédent ont brillé par l’éclat de l’esprit et du talent. Vous tous, dit-il, hauts dignitaires et officiers de la cour, vous avez de justes prétentions aux succès littéraires. Eh bien ! si quelqu’un d’entre vous peut composer une nouvelle pièce de vers qui lui permette de courir dans la lice, de front avec p.023 Chi-ta pên et Youên-kaï, je lui décernerai une récompense sans égale.

En entendant cet ordre suprême, tous les officiers se regardèrent l’un l’autre, sans qu’aucun osât répondre à cet appel.

Le fils du ciel, les voyant tous muets et silencieux, en éprouva un vif déplaisir, et, les interrogeant encore :

— Si parmi tant de magistrats, dit-il, si dans cette multitude de lettrés qui m’entourent, il n’y a pas un seul homme qui ose répondre à mes ordres, c’est peut-être que vous faites peu de cas de mon esprit, et ne me jugez pas digne de parler poésie avec vous ; peut-être aussi que le talent littéraire des modernes est loin d’égaler celui des anciens !

Les membres de l’Académie du Hân-lîn ne pouvant plus garder le silence, l’un d’eux s’avança et dit :

— Serions-nous incapables de composer une simple pièce de vers sur les hirondelles blanches, nous dont le pinceau est consacré au service du souverain ? D’ailleurs, après le saint décret qui vient de nous être adressé, comment oserions-nous manquer à ce devoir ? Mais nous avons devant les yeux deux pièces où Chi-ta-pên et Youên-kaï ont épuisé toutes les beautés du sujet. Quand nous ferions des efforts infinis pour dépeindre les hirondelles blanches, il nous serait impossible de nous élever au-dessus d’eux. C’est pour cela, Sire, que vos humbles sujets reculent devant cette tâche et n’osent répondre à votre appel. Jadis, sous la dynastie des Thang, Souï-hao 52 inscrivit p.024 des vers sur le pavillon de la cigogne jaune 53. Dès qu’ils eurent frappé les yeux de Li-thaï-pé, il s’avoua vaincu, et depuis ce moment il cessa de composer des vers. Nous avons tous éprouvé le même sentiment. Nous espérons que Votre Majesté daignera se montrer indulgente et nous pardonner. Mais si l’on pouvait nous accuser de faire peu de cas de vos lumières, nous mériterions de subir dix mille morts.

— Vos raisons sont justes, reprit l’empereur, et je ne puis m’empêcher de les agréer. Mais en ce jour les personnages les plus éclairés et les plus vertueux se trouvent réunis dans la même salle ; les magistrats du plus haut mérite brillent devant mes yeux, et les hommes de génie remplissent le vestibule du palais. On peut dire que c’est une merveilleuse réunion dont le souvenir vivra plus de mille ans. Mais si vous vous regardez les uns les autres sans composer, à ma demande, une pièce de vers sur les hirondelles blanches, la renommée littéraire de mon règne perdra beaucoup de son éclat. Cependant, je n’insisterai pas davantage auprès de Vos Excellences.

Les membres de l’académie des Hân-lîn se disposaient à répondre une seconde fois à Sa Majesté, lorsqu’on vit sortir des rangs du conseil d’État un personnage éminent. Il s’avança en tenant sa tablette d’ivoire devant sa poitrine, et, se prosternant jusqu’à terre :

— Votre humble p.025 sujet, dit-il, possède une pièce de vers sur hirondelles blanches. Si Votre Majesté daigne lui pardonner sa témérité, il osera les transcrire et les mettre sous ses yeux.

L’empereur, l’ayant regardé avec attention, reconnut en lui le ministre Chân-hiên-jîn.

— Puisque vous avez, lui dit-il d’un air gracieux, une pièce de vers sur les hirondelles blanches, elle doit être d’une beauté remarquable. Je reporterai sur cette composition le respect dû à un hôte et à un maître ; je désire vivement la voir. Comment pouvez-vous vous accuser d’une témérité coupable et m’en demander pardon d’avance ?

— Cette pièce de vers, répondit Chân-hiên-jîn, n’est point de votre humble sujet ; c’est Chân-taï, ma jeune fille, qui, dans le calme de l’appartement intérieur, l’a composée sur les rimes des deux pièces précédentes. Le style de ma jeune fille est on ne peut plus vulgaire, et je ne devrais pas en importuner Votre Majesté ; mais ayant remarqué qu’elle était impatiente de voir de la poésie, et que tous nos officiers ne se sentaient pas la force d’arriver au septième pas 54, j’ai osé ouvrir la bouche, au péril de ma vie, pour consoler un peu votre auguste cœur.

L’empereur fut ravi d’entendre ce langage :

— Excellence, dit-il, si votre jeune fille est habile en poésie, c’est encore plus extraordinaire ; hâtez-vous de transcrire ses vers et de les mettre sous mes yeux.

Chân-hiên-jîn, pour obéir à cet ordre, demanda p.026 aussitôt aux officiers de service un pinceau et un encrier ; puis il écrivit la pièce et la présenta à l’empereur.

Le fils du ciel la reçut lui-même, et, après avoir déplié la feuille de papier, il lut en tête :

« Vers sur les hirondelles blanches, composés sur les rimes des deux pièces originales de Chi-ta-pên et de Youên-kaï. »
VERS DE CHAN-TAÏ

Lorsque le soleil couchant est suspendu à l’horizon, les cœurs candides 55 sont bien rares.

Je m’enfuis et me retire loin des débats du monde, au milieu des poiriers 56 en fleur.

Je m’en vais pâle et j’aurais honte d’emprunter la couleur du corbeau. Je reviens maigre, et je ne permets qu’à la neige d’augmenter mon embonpoint.

Quand je reviens en volant à travers la nuit noire, on peut encore distinguer mon ombre.

Quoique j’enlève avec mon bec toute la pourpre du printemps, je n’ai pas besoin de laver ma robe.

Combien d’âmes charmantes s’égarent au milieu des colombes aux brillantes couleurs ?

Lorsqu’on relève les jalousies, moi seule je reviens pure et sans tache 57.

Le fils du ciel, ayant fini de lire ces vers, ne put contenir les élans de sa joie :

— La forme est savante, p.027 s’écria-t-il, et le style est d’une rare noblesse. Plus j’examine ces vers, et plus je les trouve dignes d’être mis au-dessus de ceux de Chi-ta-pên et de Youên-kaï. Je ne puis croire qu’il existe dans l’appartement des femmes un talent aussi distingué.

Puis, regardant Chân-hiên-jîn :

— Est-il bien vrai, lui demanda-t-il, que la fille de Votre Excellence soit l’auteur de ces vers ?

— C’est elle, en effet, qui les a composés, répondit Chân-hiên-jîn ; comment oserais-je tromper Votre Majesté ?

L’empereur n’en fut que plus enchanté :

— Excellence, lui dit-il, quel est aujourd’hui l’âge de votre fille ?

— Sire, répondit Chân-hiên-jîn, la fille de votre sujet vient d’entrer dans sa dixième année.

— Voilà qui est encore plus extraordinaire, s’écria l’empereur, dont l’étonnement et la joie s’accroissaient par degrés ; comment est-il possible qu’une fille de dix ans soit capable d’écrire avec un style si rare et si admirable, qui efface les écrivains des siècles passés ? Peut-être que la fille de Votre Excellence a ébauché cette composition, et que vous y avez mis la main pour lui donner du poli et de l’éclat ?

— Chaque expression, dit Chân-hiên-jîn, a été trouvée par ma jeune fille elle-même, dans l’appartement intérieur ; en vérité, votre sujet n’y a pas changé un seul mot.

— S’il en est réellement ainsi, reprit l’empereur, on peut dire qu’au milieu des femmes de talent elle brille par des facultés divines !

Il prit de nouveau les vers et, après les avoir récités p.028 lentement et avec délices, il éclata d’une joie soudaine, et frappant la table de sa main :

— Plus je les examine, dit-il, et plus j’y trouve de grâce, d’élégance et de parfum ; en vérité, c’est un style charmant qui n’appartient qu’aux femmes distinguées. Sage maître, ajouta l’empereur en regardant Chân-hiên-jîn, pour que vous ayiez donné le jour à une fille d’un si beau talent, il faut qu’elle ait été formée de la plus pure essence des montagnes et des rivières. Les filles vulgaires du siècle ne sauraient lui être comparées.

— Lorsque la fille de votre sujet était sur le point de naître, reprit Chân-hiên-jîn, j’ai vu en songe l’étoile Yao-kouang (de la Grande Ourse) qui tombait dans le salon, et la femme de votre sujet, madame Lo, qui courut au-devant et l’avala. Dans cette même nuit, la femme de votre sujet eut le même songe que moi et rêva pareillement qu’elle avalait une étoile. Cette coïncidence me parut extraordinaire. Après que la fille de votre sujet fut née, à trois ans elle ne savait pas encore parler ; dès qu’elle sut s’exprimer, elle ne parlait pas souvent, mais si elle laissait échapper une parole, c’était toujours avec une finesse et un esprit sans pareils. Quand je lui eus appris à lire, il suffisait qu’un texte eût passé une seule fois sous ses yeux pour qu’il fût gravé dans sa mémoire. A sept ans, elle savait déjà composer en prose élégante, et aujourd’hui qu’elle a dix ans, chaque jour sa bouche ne cesse de réciter des vers et sa main d’en tracer de nouveaux. Les facultés extraordinaires qu’elle a reçues en naissant, me semblent, il est vrai, répondre au jugement qu’en a porté Votre Majesté ; seulement, p.029 aujourd’hui que je me sens affaibli par la vieillesse, je regrette vivement d’avoir donné le jour à une fille au lieu d’un fils.

— Excellence, dit l’empereur en riant, il est regrettable, en effet, que vous n’ayez point eu de fils ; mais, je dois le dire, quand vous auriez donné le jour à un fils, il serait bien loin de valoir une fille aussi extraordinaire.

A ces mots, le prince et le ministre se regardèrent en souriant. Le fils du ciel ordonna à un des officiers qui étaient à ses côtés de montrer ces vers à tous les magistrats et de les faire circuler de main en main.

— Excellences, s’écria-t-il, vous jugerez si j’ai eu raison de les lire avec délices.

Les magistrats obéirent et se les passèrent successivement de main en main ; il n’y en eut pas un seul qui ne montrât son approbation par l’émotion de son visage et par le mouvement de sa tête ou le murmure des lèvres. Puis, s’avançant à l’envi vers l’empereur et se prosternant devant lui :

— Sire, dirent-ils, quoique nous ayons pour devoir de tenir le pinceau du matin au soir, lorsque nous avons reçu aujourd’hui l’ordre de composer des vers sur les hirondelles blanches, à la vue des deux pièces de Chi-ta-pên et de Youên-kaï, nous n’avons pas osé écrire à la légère. Nous étions loin de penser que la fille distinguée d’un membre du conseil privé aurait composé d’avance ces vers, comme par une sorte de prévision, pour répondre à votre décret. Leur fraîcheur, leur nouveauté et leur noble élégance font pâlir ceux de Chi-ta-pên et de Youên-kaï. Nous sommes tous accablés de confusion, mais quoique cette jeune fille soit comme p.030 un joyau précieux dans la main d’un de vos ministres, on doit véritablement reconnaître en elle l’effet des heureuses influences que l’administration sage et éclairée de Votre Majesté répand dans les quatre parties de l’empire. Si aujourd’hui deux hirondelles blanches ont voltigé gracieusement devant l’empereur, si notre auguste souverain a ordonné en termes pressants de les célébrer en vers, c’est que le ciel voulait mettre en lumière le talent admirable de la fille d’un membre du conseil ; nous en sommes tous ravis de joie !

Le fils du ciel fut enchanté de ces paroles.

— Avant-hier, dit-il, le président du bureau de l’astronomie m’a annoncé que les constellations Koueï et Pi avaient brillé d’un vif éclat, et que, par conséquent, on verrait naître partout de ces talents extraordinaires qui n’apparaissent plus dans le monde, et qui, pareils au Khi-lîn et au Fong-hoang (phénix), aiment à vivre cachés au sein des montagnes et des bois. « Or, comme la fille de Son Excellence Chân est née après que sa mère eut rêvé qu’elle avalait l’étoile Yao-kouang et que justement elle est douée de talents si extraordinaires, ne jugez-vous pas que l’observation de Thang-kin se trouve justifiée d’une manière éclatante ? De plus, elle avait composé d’avance des vers sur
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