LECTURE ANALYTIQUE : BAUDELAIRE , DON JUAN AUX ENFERS , 1846 Le texte appelle une explication linéaire, étant donné la profusion des références .
Le titre Il annonce une suite de la pièce de Molière .
Notion de transposition : on passe d’une pièce de théâtre à une poésie .
Changement d’espace culturel : les Enfers grecs et non pas l’Enfer chrétien annoncé par Sganarelle . Notion de syncrétisme (synthèse de plusieurs éléments culturels) constitutif du mythe littéraire .
Trois axes de lecture possibles
Premier quatrain : Dom Juan et le mendiant Cinq strophes rappellent les cinq actes de la pièce et les cinq chapitres de la nouvelle de Barbey d’Aurevilly .
Deux subordonnées de temps (quand[…] lorsqu’il[…]) retardent l’apparition du mendiant .
« descendit » : suite immédiate de la scène finale de Molière « La terre s’ouvre et l’abîme »
« l’onde souterraine » rappelle les fleuves infernaux (le Styx), ce qui sera confirmé par l’ « obole à Charon » le nocher des fleuves infernaux .
« un sombre mendiant » mythème de Molière acte III + diérèse = mise en valeur
Antisthène : cynique, connu pour son orgueil
« fier » « fort » appliqué au mendiant > renversement de la pièce = punition de Dom Juan
L’aviron renvoie aux deux tableaux de Delacroix, ce qui fait de ce poème une ekphrasis .
La réécriture comme réinvestissement de tous les éléments culturels de l’auteur : que fait-on dire au mythe, qui nous construit ?
Second quatrain : les femmes participe présent + imparfait > aspect duratif qui rappelle l’éternité des Enfers et le caractère d’ekphrasis
les femmes : celles qui furent séduites par Dom Juan et le harcèlent . Elles sont impudiques « seins, robes ouvertes, mugissement » > de nouveau renversement des valeurs . Elles sont animales « mugissements » . Pour Dom Juan qui aime « vaincre les résistances » elles sont une punition . On retrouve également le tableau de Delacroix et une iconographie médiévale des corps souffrant et nus
« noir firmament » l’oxymore renvoie directement aux deux tableaux de Delacroix
« long mugissement » forme un requiem sinistre
l’allitération en R dans tout le poème forme une unité qui rappelle les Enfers
Troisième quatrain : Dom Luis et Sganarelle On retrouve le Sganarelle de l’acte V . L’ajout « en riant » rappelle encore une fois la condamnation
Don Luis « doigt tremblant, front blanc » adopte ici une position vengeresse qui renvoie à la scène du reproche chez Molière .
V9-12 riant/railla : retournement de situation
Quatrième quatrain : Elvire
« frissonnante, chaste et maigre » : on la retrouve fragile et dévote
elle porte le « deuil » de D.J.
elle n’est pas incluse au troupeau des mugissantes : opposition lexicale sourire/mugissement, brillât/noir, douceur/se tordaient . Est-ce la seule qui a touché D.J. ?
en position de suppliante, tout son drame tient dans le rime signifiante : amant/serment
Sa présence aux Enfers, de même que celle des autres personnages victimes de D.J. invite à lire le poème comme une fantasmagorie née de l’imagination de D.J. Ceci expliquerait l’aspect presque parodique de cette Elvire « maigre » .
Cinquième quatrain : la statue / Dom Juan cf l’acte cinq et la statue du commandeur . Ici il mène le bateau, allégorie du châtiment .
v.19-20 enfin apparaît l’attitude de D.J. .
« calme héros » très mélioratif, dénote le jugement bienveillant de Baudelaire
le rythme est très régulier et imite à la fois le calme de D.J. et la monotonie de l’Enfer
« rapière » rappelle son courage à l’acte III
paradoxe final « regardait/rien voir » : Il est enfin aux Enfers qu’il a tant recherchés . Est-il déçu, toujours digne et provocateur, repentant ? Non il est impénitent , toujours dans sa quête .
ENJEUX DE CETTE REECRITURE On n’écrit pas dans le vide culturel (fort syncrétisme ici)
Pourquoi Dom Juan ? Ici l’impénitent nous rappelle le dandysme de Barbey mais aussi le Baudelaire de « La Mort » : « Plonger au fond du gouffre Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »
Nouveautés dans la chaîne des réécritures :
l’Enfer
les autres semblent plus condamnés que lui
cohérence avec le caractère du D.J. de Molière : on est bien dans le domaine de la transposition .
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